Protéger les marais du Cotentin, cette immense zone humide de 1 466 km2 située entre Cherbourg, Bayeux, Saint-Lô et Coutances, de l’inexorable remontée des eaux au rythme des marées, telle est la fonction des portes à flots. Construites à partir du 18e siècle, ces vannes de grandes dimensions, installées le plus souvent contre les ponts, invisibles aux yeux du passant non attentif, sont actionnées par la seule force de l’eau : elles se referment à chaque marée montante sous la pression de l’eau de mer, puis s’ouvrent alternativement à chaque marée descendante pour laisser couler l’eau des rivières qui s’est accumulée vers la mer, ce qui permet de protéger les marais, devenus terrains de pâturages, zones de promenades et activités de loisirs.
« Ces ouvrages sont soumis à rude épreuve et doivent résister aux intempéries et aux agressions permanentes de l’eau de mer, explique Hubert Gervaise, qui a été conducteur de travaux pendant 40 ans chez Les Ateliers Aubert-Labansat, une entreprise de charpente implantée à Coutances (Manche), spécialisée depuis les années 1960 dans les monuments historiques. Nous nous occupons de leur entretien depuis plus de 30 ans, et sommes intervenus sur les portes à flots des rivières aux noms bucoliques qui traversent le marais, la Vire qui passe à Saint-Lô, la Douve qui passe à Carentan, la Taute, l’Olonde, l’Aure… » Pour chaque restauration, le mode opératoire est le même : les portes de grandes dimensions – en général 4 m de hauteur et 3 m de largeur, et jusqu’à 7 m pour les portes marinières qui laissent passer les bateaux – sont soulevées avec une grue et transportées jusqu’aux ateliers, remplacées provisoirement dans la rivière par des batardeaux qui empêchent la montée des eaux. Dans les ateliers, les pièces usées ou cassées, en bois ou en métal, sont remplacées en faisant appel aux savoir-faire utilisés en général pour la charpente, comme l’assemblage à tenons et mortaises, voire mordânes pour consolider encore plus. « Si les portes à flots ont longtemps été fabriquées en chêne, la décision a été prise de refaire les cadres et les traverses en azobé, un bois africain qui est très dense, très dur à travailler, mais imputrescible précise Hubert Gervaise. Constamment exposé en alternance à l’air puis trempé dans l’eau, le chêne durait 30 ans maximum, mais l’azobé durera beaucoup plus longtemps. » De même, les ferrures des portes ont longtemps été réalisées en acier galvanisé, qui ne résistait qu’un temps, mais chaque restauration donne lieu à son remplacement par de l’inox, qui garantit une plus grande pérennité des ouvrages dans le temps.
-> Extrait de l’article paru dans la revue “Atrium” – Automne 2024.